Accueil Actualités Entretien avec Diego Zorrilla, Coordonnateur résident des Nations unies en Tunisie : «La Tunisie est l’un des pays les plus avancés sur les aspects d’appropriation des objectifs durables»

Entretien avec Diego Zorrilla, Coordonnateur résident des Nations unies en Tunisie : «La Tunisie est l’un des pays les plus avancés sur les aspects d’appropriation des objectifs durables»

Au moment où se tient la 74e session de l’Assemblée générale à New York autour des Objectifs de développement durable (ODD) avec la participation d’une délégation tunisienne de haut niveau, le coordonnateur résident des Nations unies en Tunisie, Diego Zorrilla, nous a accordé un entretien dans lequel il a surtout mis en exergue les grands enjeux et les attentes de cette session, le rôle important des citoyens, notamment les jeunes Tunisiens, ainsi que la société civile, dans la mise en œuvre, d’ici 2030, des objectifs durables inhérents à la lutte contre la pauvreté, les inégalités, le réchauffement climatique.

«Les peuples veulent des solutions, des engagements et des actes», vient de déclarer, le SG Antonio Guterres, à la veille de la 74e session de l’Assemblée générale (du 24 au 30 septembre à New York), ajoutant que le monde se trouve à un moment critique sur plusieurs fronts.

Je ne peux que souscrire  à cette déclaration, et c’est d’ailleurs pour cette raison que l’Assemblée générale et le secrétaire général veulent mener une grande action et inviter les leaders mondiaux à cinq grands sommets liés à cette AG pour passer en revue l’état d’avancement des agendas extrêmement importants, dont les sommets inhérents aux changements climatiques et aux objectifs de développement durable (ODD)

Il y a un panel scientifique qui a été établi lors de l’adoption de l’ODD en 2015 pour assurer le suivi  de l’agenda à l’horizon 2030 et un rapport a déjà été élaboré avant les travaux de la 74e session de l’AG qui a démontré que le monde doit accélérer  ces progrès en matière de développement durable si nous voulons atteindre les objectifs tracés. Toutefois, de grands risques  persistent, c’est pourquoi le secrétaire général a tiré la sonnette d’alarme pour attirer l’attention non seulement des décideurs mais aussi de tous les citoyens du monde. Les risques encourus aux quatre coins du monde n’engagent pas que les Etats mais aussi les citoyens.

C’est comme un dernier avertissement pour une dernière chance ?

Sans nul doute. En ce qui concerne le problème du  changement climatique et  la préservation de la biodiversité, c’est vraiment une dernière chance. Pour pouvoir maintenir le réchauffement climatique  au-dessous de 2 et 1,5 degré, il y a besoin de prendre des actions urgentes. Le nouveau rapport de l’Organisation météorologique mondiale démontre malheureusement un réchauffement climatique durant la période 2014-2019 au moment où notre objectif est de réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre.

Parmi les sujets débattus lors de la 74e session de l’Assemblée générale, l’accord de Paris sur le changement climatique à travers l’organisation du «Sommet action climat ». Ce sommet changera-t-il la donne ?

Ce sommet ne va pas se substituer aux réunions des COP qui se tiennent chaque année pour parler du climat et de la lutte contre le réchauffement climatique et des engagements des Etats, mais le «Sommet action climat» veut tirer la sonnette d’alarme et donner la parole aux décideurs pour exposer leurs actions en rapport avec ce thème. Plus de 70 orateurs ont pris la parole pour parler de manière succincte et en trois minutes de ce qu’ils sont en train de faire en matière de lutte contre le réchauffement climatique à l’occasion de cette AG.

Il faut souligner que la Tunisie compte parmi les pays à faible contribution dans les changements climatiques au niveau global avec un niveau relativement bas d’émission de gaz à effet de serre (environ 3,3 tonnes métriques de CO2 par habitant  alors que la moyenne est de 5 tonnes). Malgré ce faible taux, la Tunisie s’est engagée avec le reste des pays du monde à réduire ce niveau, décarboniser son économie et passer à un mode de production beaucoup plus propre, notamment dans le domaine de l’électricité

Mais la Tunisie est un des pays méditerranéens les plus exposés aux changements climatiques et va souffrir d’une augmentation moyenne à hauteur de 5 degrés dans les prochaines années. Ceci a des conséquences à l’accès à l’eau, l’accélération de la désertification, la montée du niveau de l’eau sur le littoral qui est de nature à  impacter les activités agricoles et touristiques.

On a déjà vécu les inondations à Nabeul l’année dernière  qui ont été causées par le phénomène du réchauffement climatique. Au niveau global, on parle déjà d’une nouvelle catégorie de «réfugiés climatiques» dans le monde issue de ce phénomène.

En raison de la  grande importance de ce phénomène et son impact sur les pays du monde entier,  le sommet sur le climat a été précédé d’une grande mobilisation de milliers de jeunes  qui ont pris part à des discussions autour de cette question à New York la semaine dernière avec la participation de la très jeune activiste suédoise pour la lutte contre le réchauffement climatique Grat Thunberg pour réclamer la prise de décisions urgentes. De jeunes Tunisiens étaient présents à ce grand rendez-vous.

La mobilisation des jeunes contre les changements climatiques ce n’est pas seulement pour demander aux décideurs de prendre des initiatives et entreprendre des actions concrètes, mais aussi de promouvoir et de provoquer un changement urgent dans nos attitudes personnelles.

Lors de votre nomination en janvier 2019, vous  avez déclaré que votre agenda est de «continuer à appuyer la Tunisie dans la mise en œuvre du programme de développement durable à l’horizon 2030 ». Comment la Tunisie pourra relever les défis qui se profilent et sous quelles conditions ?

La Tunisie est déjà engagée dans les ODD et a présenté en juillet dernier à New York son premier rapport sur ces objectifs durables. Selon l’une des études effectuées, elle est l’un des pays de l’Afrique les plus avancés sur les aspects d’appropriation des objectifs durables. Mais ceci n’engage pas que la responsabilité de l’Etat mais plutôt tous les citoyens, la société civile ainsi que le secteur privé. Par ailleurs, la participation de ces deux derniers acteurs  dans les travaux de cette AG montre bien le lien existant entre les actions des différents acteurs.

La consommation responsable, le traitement des déchets, la non-utilisation de matière plastique à usage unique qui a des conséquences néfastes à long terme sur l’environnement et la biodiversité sont tributaires d’une prise de conscience au niveau individuel. Parfois, face à ces agendas qui cherchent à éliminer la pauvreté extrême aux quatre coins du monde, ou la préservation de l’environnement, on a tendance à penser, à tort,  que ces agendas ne nous concernent pas. Or chacune de nos actions individuelles a une incidence positive ou négative sur ces agendas. Les 17 agences implantées en Tunisie regroupant 570 fonctionnaires, dont 85% sont des Tunisiens qui connaissent bien le pays et relèvent de l’ONU, dirigent des programmes d’assistance technique au profit de la Tunisie pour l’aider à progresser dans la mise en œuvre des ODD. Mon rôle est de promouvoir une cohérence dans toutes  les actions des  agences. Ce qu’on est en train de faire doit répondre aux priorités identifiées par la Tunisie. Est-il important de rappeler qu’une stratégie de plaidoyer pour les ODD en Tunisie et partout dans le monde ne pourra pas se faire sans l’appui des médias ?

Le développement durable doit répondre à cinq priorités. Primo, il doit être axé sur le social (l’éducation, la santé..) Secundo, il doit assurer une croissance économique soutenable selon un modèle qui permet de redistribuer les richesses et réduire les inégalités entre les citoyens et entre les régions. Tertio, il est appelé à préserver l’environnement et  quarto il doit se baser sur la bonne gouvernance, la paix et la sécurité. A la fin, le développement durable doit forger de grands partenariats entre tous les acteurs.

Un autre débat programmé à cette AG. Il concerne la couverture sanitaire universelle  qui est d’une grande importance pour la Tunisie qui vient d’organiser, avec l’appui de l’ONU,  un dialogue sociétal dans le domaine de la santé. Il est à rappeler que 20% des Tunisiens n’ont pas accès aux  services de santé, selon l’INS.

Quels conseils aux jeunes Tunisiens pour contribuer pleinement et efficacement à la concrétisation des ODD dans leur pays ?

La valeur de l’agenda à l’horizon 2030 est de reconnaître qu’au delà des difficultés des moments, nous avons un chemin à parcourir. Il est donc important de garder le cap vers cet horizon  et vers des ODD importants prônés par ailleurs par la majorité  des Tunisiens, à l’instar du travail décent, une croissance économique inclusive réduisant les inégalités, la lutte contre la corruption, l’accès à l’énergie.

Il faut qu’il y ait mobilisation continue et permanente, notamment des jeunes Tunisiens pour assurer le développement durable de leur pays et qui soit en adéquation avec cet agenda. Les jeunes doivent s’engager à faire de la Tunisie un modèle au niveau de l’exécution des ODD et ne pas se contenter des actions menées par le gouvernement. Ceci nécessite, au niveau individuel, un engagement civique et un engagement citoyen pour  assurer un  monde  tendant à réduire  aussi bien les inégalités que la pauvreté et à protéger l’environnement.

Vidéo: ©Belhassen Lassoued

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